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DOCUMENTS / DOCUMENTOS
TANGERArticle et photographies publiés dans MATCH du 27 avril 1939 |
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Si Gibraltar est la clé de la Méditerranée, Tanger en est alors la serrure, a pu dire un grand amiral britannique. Et Nelson, lui-même, affirmait que Tanger est une des positions clés du monde, d'une importance primordiale pour l'Angleterre, au même titre que Suez. La carte, à ce point de vue, est éloquente et montre mieux que tout commentaire pourquoi la place de Tanger a pu susciter depuis des siècles tant de questions complexes, pourquoi aussi l'Angleterre a tenu. à ce qu'une puissance européenne n’occupât point ces territoires. Une fois fortifiée, dotée d'artillerie lourde, son port pourvu de flottilles de sous-marins et de torpilleurs, Tanger, base navale de premier ordre, pourrait permettre a une puissance de barrer le détroit avec autant d'efficacité que Gibraltar. Sur Gibraltar même, Tanger présente des avantages très appréciables -alors que le roc britannique ne permet pas d'installations de terrains d'atterrissage, alors qu'il est réduit, contre la, menace aérienne, à la défense terrestre ou à celle des navires porte-avions, le territoire de Tanger peut offrir de nombreuses bases pour l'aviation.
Premier port d'escale de l'Empire Chérifien, tête de ligne du chemin de fer qui mène à Fez, placé à cinq heures d'avion de Toulouse, à douze heures de train de Marrakech, Tanger est un grand port d'exportation où font escale régulièrement les navires de trente-neuf compagnies de navigation. Depuis la victoire du général Franco, l'aspect des choses, dans le territoire de Tanger, a sensiblement changé. Longtemps divisés pendant la guerre civile espagnole, souvent aux prises dans des bagarres sanglantes qui firent parfois des morts, les Espagnols et les Italiens de Tanger sont devenus, dès le lendemain de la prise de Madrid, fébrilement partisans de l'ordre fasciste. Les cris de « vive Franco ! » et «vive le Duce ! », retentissent dans les rues et le drapeau sang et or flotte sur les nombreuses demeures espagnoles. Au surplus, aux abords du territoire international, on a noté ces derniers jours d'incessants mouvements de troupes. A Tétouan, à Ceuta, à Melilla, les requetes, les regulares, les phalangistes italiens ont débarqué en grand nombre. Beaucoup d'entre eux ont été dirigés vers la ligne qui marque la frontière entre le Maroc espagnol et le Maroc français et en fortifient les principaux points. Un agresseur aurait évidemment à redouter avant tout une attaque venant du Maroc français. Aussi bien, le Rio de Oro, enclave espagnole dont le sultan nominalement souverain n'a pas voulu reconnaître l'autorité du sultan du Maroc français, est activement fortifié. Il est facile de constater qu'il occupe, vis-à-vis du Maroc français et du Maroc espagnol, une situation d'une indéniable valeur. LE COUP DE TANGER
Charles II lui donna une garnison et des forts pour la protéger contre les rebelles. Mais, les besoins de la couronne se faisant sentir de manière pressante dans la métropole même les Anglais, sans cesse harcelés par les indigènes l’abandonnèrent en 1684 à la souveraineté du Sultan du Maroc. Par la suite, ils devaient amèrement regretter cette légèreté, et multiplièrent leurs efforts pour empêcher quiconque de s'y installer. En 1844, Abd el Kader s'étant réfugié chez le Sultan à la suite de la conquête de l'Algérie par Bugeaud, le prince de Joinville fit bombarder Tanger par la flotte française. Abd el Kader dut partir, mais Tanger resta marocaine; de même en 1860, pendant la guerre hispano-marocaine, l’Angleterre s'opposa à l'occupation de Tanger par l'Espagne. Dans un premier traité franco-espagnol, en 1902, il était stipulé que la France et l'Espagne ne s’opposeraient pas à l'internationalisation de la place ainsi qu'à la neutralisation de la côte aux abords de Tanger.
Pourtant, en 1905, Guillaume II, vexé de voir l'Angleterre reconnaître à la France une influence prépondérante au Maroc, tint à faire à Tanger un débarquement spectaculaire, pour montrer qu'il appuyait le Sultan et soulignait sa souveraineté. A la conférence d'Algésiras, qui régla la question du Maroc en 1906, les Allemands proposèrent de placer à Tanger des troupes sous l'autorité du Sultan, mais les Anglais refusèrent et Tanger fut reconnue capitale d'une zone internationale, sous la souveraineté du Sultan. Devenue résidence d'un plénipotentiaire suisse représentant les puissances signataires de l'acte d'Algésiras, Tanger ne s'internationalisa pas très rapidement. Les problèmes qu’elle posait furent donc reconsidérés après la guerre de 1914. L’Espagne tenait à ce qu'on reconnût Tanger comme faisant partie de sa zone ; la France voulait que le Sultan y fût souverain ; l'Angleterre penchait à la neutralisation. Ce fut la ténacité anglaise qui l'emporta. Un statut fut ratifié en 1923 par les trois puissances, établissant la neutralité permanente du territoire de Tanger et l'interdiction de toute opération et de toute installation militaires. Le nouveau règlement n'entra en vigueur qu'en 1924 et fut fixé pour une durée de 12 ans. Automatiquement renouvelable, sauf intervention d'une des puissances intéressées, il fut renouvelé en 1936 pour un nouveau délai de 12 ans.
Entre temps, le 25 juillet 1928 grâce à l'appui de l'Angleterre, l'Italie réussissait à faire admettre sa participation à l'administration de Tanger, avec la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède. Aujourd'hui, cette zone neutre vit sous un régime autonome, le pouvoir législatif étant exercé par une assemblée internationale de 27 membres et par un comité de contrôle formé par les consuls des puissances signataires de l'acte d'Algésiras. L’administration de la zone est exercée par un « administrateur » et des « assistants administrateurs » pour les départements des finances, de l'hygiène, de la justice, etc. L’administrateur actuel est un Français, M. Le Fur. Les administrateurs secondaires sont Anglais, Espagnol et Italien. Quant au Sultan, il est représenté par un Mendoub qui s'occupe surtout de régler les affaires indigènes sous la juridiction marocaine. La France, l’Espagne, l'Italie ont établi à Tanger des établissements scolaires.
Sur le Petit Socco, centre principal de la ville et place minuscule, se réunit chaque jour une foule bariolée d’Arabes, d'Espagnol, d'Italiens, de Français, de Belges, de Portugais, d'Anglais, de Syriens... Les Arabes forment évidemment la majorité de la population du territoire et sont environ 50.000. Après eux, les Espagnols (12.000) et les Français (12.000) sont les plus nombreux. Puis viennent les Anglais (800) et les Italiens (800). Le Petit Socco est à la fois la place de l'Opéra et la Bourse de Tanger. Tandis que les vendeurs de journaux crient les titres dans toutes les langues, aux terrasses - qui toutes se confondent - des petits cafés qui cernent la place, se règlent sans arrêt d'innombrables affaires : commerce des soieries, des lainages, des fruits, des poissons, des peaux, des oeufs, des huiles vente massive de billets de loteries, transactions de monnaies étrangères, affaires de contrebande aussi : Tanger est réputée comme un centre important pour la contrebande des armes.
Au
Grand Socco - l'autre pôle de Tanger - se tient le marché. Là, se
vendent les légumes, les volailles, les huiles, les poissons. Là, de
jolies indigènes chargées de bijoux vendent des iris et des géraniums.
La concurrence, le jeudi et le dimanche surtout, y est terrible. En
1932, les revenus de la ville de Tanger étaient de 22.460.000 francs,
ses dépenses de 22.447.000 francs. A Tanger, l'arabe est la
langue officielle. Mais on y parle aussi bien français, anglais,
espagnol, italien. Personne, en cette ville, ne parle la même langue et
tout le monde se comprend. l'arme à gauche, l'autre à droite. C'est le symbole de Tanger.
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