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CHRONIQUES TANGEROISES
CRONICAS TANGERINAS
RUE MONTMARTRE A CADENCE DE "BOUL"(Par Maurice BENDELAC - 06/2002) |
Paris, samedi 16 mars 2002, trois tanjawis se sont donné rendez-vous à
treize heures très précises au Métro Sentier avec l'intention de
déjeuner ensemble. Plus tard, vers 20 heures, devait avoir lieu à l'
Hôtel Méridien, un dîner qui allait réunir près de 300 de leurs
compatriotes. Les premiers mots que les trois premiers vont échanger
après près de trente ans de "mutisme existentiel" atteignent un
registre plutôt "soutenu", plus près de la gueulante que de la
mezzo-voce et fusent d' un côté à l' autre de la rue, chacun des trois
lurons ayant interprété à sa manière le lieu du rendez-vous " zaâma "
stratégiquement fixé au téléphone la veille. Le trio - d'As of course,
et ce au cas où les plus futés de nos compatriotes, polyglottes de
surcroît, s'aviseraient à y ajouter un "s". Henni soit qui mal y
pense!- était donc composé de Zizi (Bentahar Abdelaziz), Michel
Gauthier et ma pomme). Embrassades, bises, grandes tapes sur l'épaule et autres
tripotements centrés sur le lobe de l'oreille gauche, font suite aux
"¡Será burro el tío! Putain, fils, t'es con ou quoi? T'es jamais sorti
de ton bled! Al H'mar" ¿Tú por dónde escuchas? " Et sur ces entrefêtes
(sic, dans le contexte), après avoir juré sur la tête de je ne sais
plus qui que nous n'avions pas changé du tout, juste un peu
d'embonpoint, voire deux …, nous nous dirigeons vers la Rue Montmartre,
direction les z'Halles, à la recherche d'un endroit où casser la
croûte, histoire de mettre un sandwich de chez Bob ou un Judor dans nos
souvenirs … Le pas est lent, la démarche toute en douceur, pausée
(avec un zeste de pose tout de même …) comme il sied à trois
quinquagénaires de notre acabit (mais puisque je vous dis qu'on n'a pas
changé!). Et puis, tous comptes faits, notre allure est sensiblement la
même que celle de notre adolescence lorsque nous déambulions à la
hauteur de chez Kent (Rive Droite) et du Palais du Mobilier (Rive
Gauche) quelques trois décennies et demie auparavant, pour faire court … La cadence "Boul" - je le rappelle où d' aucuns l'
auraient oublié - consiste à avancer de cinq à six pas, marquer un
arrêt très brusque, faire de grands gestes voire des simagrées,
regarder son voisin l' air admiratif ou bête le cas échéant, lever les
yeux au ciel en signe de compassion, pousser de temps en temps un
profond soupir et puis, reprendre la marche tout en proférant à l'
occasion une menace. Bref, tout ce que la "Langue de Molière" (moderne)
désignerait sous le nom de "Code Non Verbal" au cas où tout le monde n'
aurait pas pigé … Il n' en reste pas moins que l'oral occupe dans notre
" gestuelle de groupe " une place importante mais à condition que
celle-ci s' accompagne du mouvement de hanche correspondant, les jambes
légèrement écartées, le tout en traînant "un chouia" les pieds … un peu
comme si on portait des babouches … Or, si nos emjambées pouvaient sembler maladroites, c'
est tout simplement parce que le trottoir - pardon, le " marchapié " -
était plutôt étroit et le Farroj ou Farroja (Français, Française dans
le texte) qui marchait derrière nous, comme au demeurant le lui permet
la Constitution, n'appréciait guère nos arrêts intempestifs sans usage
préalable du clignoteur. Et les autochtones de pester d' autant plus
bruyamment qu'ils portaient un petit chariot ou bien que leurs
intentions étaient d' arriver chez le boulanger du coin avant que ce
dernier ne ferme boutique (chose que nous avions du mal à comprendre,
nos " bacalitos " à nous ne fermant jamais …). Et puis, ils avaient
toujours l' option de descendre du marchapié mais cela ne les empêchait
pas de grogner … Il y eut même un petit malin qui, profitant de nos
arrêts successifs, voulut nous faire signer un " Appel à la France " ou
quelque chose dans ce goût-là. Nous le remballâmes sans ménagements
vers son terroir en lui faisant comprendre que n'étant pas du même cru,
nous nous sentions très peu concernés par son Appel et le " mesquín "
s' en fut derechef en quête de plus nigauds et patriotes que nous .... Et c' est ainsi que lentement mais sûrement, sans hâte ni précipitation, au pas de " Boul " en somme, nous atteignîmes les z Halles après avoir égrené quelques souvenirs marquants des années écoulées. Il était alors plus de trois heures, mais qui se souciait du " temps qui passe " alors que trente longues années n' avaient pas réussi à nous faire bouger de notre " Boulevard " … |
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